Les cures

cure

 

Un Voyage à l’étranger, Scott Fitzgerald, 1930
Ceci est le récit d’un voyage à l’étranger, et on ne doit pas perdre de vue l’élément géographique. Ayant visité l’Afrique du Nord, l’Italie, la Riviera, Paris et les points intermédiaires, il n’était pas surprenant que les Kelly finissent par aller en Suisse. La Suisse est un pays où fort peu d’histoires commencent, mais où beaucoup se terminent.
Bien qu’il y eût une part de choix dans leurs précédentes escales, les Kelly allèrent en Suisse parce qu’ils y furent obligés. Il y avait un peu plus de quatre ans qu’ils étaient mariés lorsqu’ils arrivèrent, un jour de printemps, au lac qui occupe le centre de l’Europe – site placide et souriant, pentes pastorales sur fond de montagnes, eau d’un bleu de carte postale, un petit peu sinistre, sous la surface, de toutes les misères venues s’échouer là des quatre coins de l’Europe. Lassitude à étancher, mort à consommer. Il s’y trouve aussi des écoles et des adolescents qui pataugent sur les plages ensoleillées ; la prison de Bonivard et la cité de Calvin ; les fantômes de Byron et de Shelley, qui hantent la nuit les rivages obscurs ; mais le lac de Genève où vinrent Nelson et Nicole, c’était celui, lugubre, des sanatoriums et des maisons de repos.

Prières exaucées, Truman Capote, Grasset, 1988 et 2006
« C’est vrai, tu sais. Mais te rencontrer m’a fait changer d’avis, ça m’déplairait pas de vivre. Pourvu que tu vives avec moi, mon petit Jones. Ce qui veut dire prendre le risque d’une cure et c’est un risque. J’ai déjà fait ça une fois. Dans une clinique de Vevey ; le soir, les montagnes s’écroulaient sur moi, le matin je voulais me jeter dans le lac Léman. Si je faisais ça, tu suivrais, toi ? »
Tiré de la nouvelle Des Monstres à l’état pur

Le dernier pour la route, Hervé Chabalier, Robert Laffont, 2004
Un éclair de lucidité ; un flash retour à la réalité d’une vie que je maîtrise un peu moins à chaque tour de cadran. Dois-je y aller ? Ne suis-je pas ici, au bord du Léman gris et calme pour faire face, refaire surface, trouver les moyens et la force de poser le verre ? Je me le répète, je me l’enfonce dans le crâne, « j’arrête de boire ». Combien de matins, bouffi devant le miroir de ma salle de bains, la tripe éclatée, la gerbe hésitante, la tête dans la cuvette, la bouche en carton, ai-je pris cette résolution ? Sous la douche aussi, « j’arrête de boire », « j’arrête de boire aujourd’hui ». Pas de réveil dans vœux pieux ! À force de ne jamais tenir ma promesse, j’ai fini par ne plus y croire vraiment. Le pire, c’est cela, c’est se trahir soi-même, chaque jour, ne plus se respecter, savoir que l’on se ment, et s’en accommoder.
Quelle force, quel instinct de survie me conduisent, ce jeudi, devant les grilles de La Métairie, clinique de luxe, vieille d’une centaine d’années, aux jolis pavillons, très côte normande, répartis dans un vaste parc arboré et propret ?