Le Léman des écrivains

« Ce lac ? Un encrier où tout le monde a trempé sa plume. »
La Mort d’un juste, Jacques Chessex, Grasset, 1996

« Le lac, oeil du paysage. »
Victor Hugo

« La mer est comme un ciel bleu bleu bleu
Par au-dessus le ciel est comme le
Lac
Léman
Bleu-tendre »
Bleus, Blaise Cendrars

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Ferdinand Hodler, Le Lac Léman et le Mont-Blanc, huile sur toile, 1918

Les Confessions, Jean-Jacques Rousseau, 1770
Quand l’ardent désir de cette vie heureuse et douce qui me fuit et pour laquelle j’étais né vient enflammer mon imagination, c’est toujours au pays de Vaud, près du lac, dans des campagnes charmantes qu’elle se fixe. Il me faut absolument un verger au bord de ce lac et non pas d’un autre ; il me faut un ami sûr, une femme aimable, une vache, et un petit bateau.

Voyage autour du Mont-Blanc, Rodolphe Töpffer, 1853
Dans l’après-midi, d’épaisses vapeurs se sont élevées du côté de Genève, au travers desquelles un rayon de soleil couchant se fraye un passage, et vient empourprer à l’arrière du bateau une partie de la surface du lac, partout ailleurs froide et violacée. Ce spectacle peu ordinaire attire les regards, et il suspendrait pour un moment toutes les conversations particulières, sans ce monsieur sourd qui a l’obligeance de nous continuer la sienne, en sorte qu’il passe son temps de plus en plus agréablement jusqu’à Villeneuve, où nous débarquons tout à l’heure.

Lettre de Suisse, Françoise Sagan, in Les Cahiers des Saisons, 1960
Il y a Benjamin Constant aussi, au sujet de la Suisse. Enchaîné à Coppet, aux ordres de Minette et se plaignant : « Ah ! ce lac… » Il faut dire que Genève est navrant. Ici au moins, il y a des edelweiss, des biches qui sont censées traverser la route (signale-t-on aux automobilistes ravis, mais qui ne la traversent pas, hélas (ou bien elles se méfient de moi, grâce à des bobards de journalistes). Ici, enfin, on parle allemand et non pas ce français titubant de Genève.

Romandie, Maurice Denuzière, Denoël, 1996
Quand apparut dans la descente, passé le village de Saint-Cergue et les derniers lacets, le Léman bleu, lové au pied des montagnes de Savoie, amphithéâtre de rocs et de forêts ouvert sur le pays de Vaud, Axel eut la gorge nouée par l’émotion. Ses compagnons de voyage, Blaise et Claude, les femmes occupant l’autre berline, furent aussi sensibles à la beauté unique du site offert à leurs regards et le dirent chacun à sa façon. Axel, lui, se tut. Trop de poètes, de Rousseau à Byron, avaient tenté de définir en termes choisis, parfois lyriques, ce décor magique, pour que toute émotion traduite en mots ne parût banale, pédante, vaine ou répétitive. Chez ce Vaudois, les retrouvailles avec son lac après une absence produisait une sorte de saisissement exquis, une allégresse sensuelle, le bien-être que procure une profonde aspiration après une contrainte, l’indicible sensation, quasi cosmique, de se trouver en parfaite harmonie avec la nature, le retour à l’équilibre entre physique et mental, que confère l’absence de désir.

Éloge de la masturbation, Philippe Brenot, Zulma, 1997
Comme on dit histoire de rire, je crois très légitimement que l’on peut dire : histoire de sexe, car un crime a été commis presque fortuitement en Suisse, dans le canton de Vaud, au XVIIIe siècle, un crime sexuel perpétré dans ce creuset de l’Europe sur les bords du Léman où brillent alors un Rousseau citoyen de Genève et Voltaire sur les hauteurs de Ferney.
Cette histoire de sexe commence en 1758 par la publication à Lausanne d’un ouvrage très sérieux, en latin, de Samuel Tissot, Testamen de morbis ex manustupratione (Essai sur les maladies produites par la masturbation), qui paraît presque confidentiellement à la suite de l’un de ses textes les plus connus, sa Dissertation sur les fièvres bilieuses.
Comme beaucoup d’autres à l’époque, cette publication aurait pu n’être qu’anecdotique ; elle va cependant réveiller les vieux démons de l’Inquisition et de la chasse aux sorcières, et modifier durablement les attitudes et la morale sexuelle jusqu’au début du XXe siècle. Ce livre symbole, qui sera constamment réédité, donnera le signal de la plus grande répression sexuelle que l’Europe ait connue et qui dure encore aujourd’hui.