Heidi était au Ritz

Comme j’avais des peintres moldaves chez moi, je décidai d’aller passer ma journée au Ritz. Une journée bien méritée. Depuis cinq jours, je me débattais avec une traduction de Nike Wagner, arrière-petite-fille de, qui, pour expliquer le désir de mort de Tristan en quatorze pages en passe par Freud, la phylogenèse et le traumatisme originel de notre espèce, traumatisme qui daterait de notre sortie des eaux. Enfin de celle de nos ancêtres relativement lointains.

Bref. Sans que cela ne soit une pulsion de mort, j’avais moi aussi envie de me retrouver dans un cocon protecteur et aquatique. Comme Paris est dépourvue de lac et de rivière pouvant accueillir les baigneurs – seul défaut de cette ville –, je dus me rabattre sur l’espace détente du Ritz.

Arrivée place Vendôme, j’aurais bien fait un crochet par chez Chaumet qui exposait les bijoux offerts par Napoléon aux nombreuses femmes de sa vie. Las! La queue ressemblait à celle d’une boucherie moldave au bon vieux temps. Je battis en retraite pour me retrouver… en Suisse. Oui. La Suisse avait envahi la place Vendôme. Autour de moi, la prairie du Grütli, le chalet de Heidi, le Cervin, des sapins et des sapins et des sapins. Au cœur de Paris, entre Napoléon et le Ritz, Heidi et Guillaume Tell. Suisse Tourisme avait frappé fort. Jusqu’au cœur du Ritz dont l’un des jardins intérieurs avait été transformé en paysage alpin.

Fuyant cette helvétitude – dire que j’avais quitté ma Suisse natale – je me réfugiai dans le spa. Entre le jacuzzi et la salle de squash, pas l’ombre d’une Jungfrau. Ni même celle d’une Justine Levy ou d’une Carla Bruni. Le calme plat. J’en profitai pour m’octroyer une sieste sur l’un des lits aquatiques – une sieste bien méritée, celle-la aussi, puisque, ayant des peintres moldaves chez moi, je dormais depuis une semaine sur mon sofa blanc (Flexform, je cherche des sponsors).

Bien retapée et le visage vigoureusement décapé par les peelings (La Prairie) de l’esthéticienne maison, j’allai m’affaler sur les coussins du bar Hemingway qui a une inestimable qualité : avec leur cocktail ou leur vodka (Stolichnaya), les femmes reçoivent une rose. Ne me demandez pas pourquoi les hommes n’en reçoivent pas. De rose. D’autant plus que cela évoque cette belle tradition catalane qui veut qu’avec un livre, on offre une rose – qu’attendons-nous pour l’adopter, cette tradition – et quand on connaît l’affection qu’avait Hemingway pour la Catalogne… Mais, entre les différents bouquins et autres photos de celui qui a « libéré » le bar du Ritz en 44, Hemingway, donc, pas l’ombre du bout du commencement d’un futur prix Goncourt. Non. Mais la Suisse, elle, oui, encore et toujours. Qui plus est en la forme de Présence Suisse. Enfin, de l’un de ses représentants qui porte le nom du plus célèbre de nos ex-ambassadeurs. Et qui me glissa sa carte de visite juste avant de s’envoler au cocktail offert par la Suisse pour célébrer les 100 ans de présence de Suisse tourisme en France.

Je continuai à siroter ma vodka (Stolichnaya) en attendant mon ami François Margolin toujours en retard, vous comprenez, il est débordé, un film par-ci sur les enfants soldats, une production par-là, le dernier Ruiz. Bref, lorsqu’il débarqua enfin, j’avais la tête dans les nuages et je contemplais une délicate neige suisse recouvrir le verre givré de ma vodka (Stolichnaya).

Tel un deus ex machina, François Margolin me souleva des coussins enneigés du bar Hemingway et me déposa sur les plumes de son duvet. Parce que même mon sofa (Flexform) blanc comme une neige suisse n’était plus disponible pour accueillir mon corps. Recouvert qu’il avait été d’une bâche par mes peintres moldaves.

Paris, décembre 2004

P.-S. 1 : rassurez-vous, grâce aux sponsors, ce texte a – largement – remboursé ma journée passée au Ritz.

P.-S. 2 bis: si Hemingway a « libéré » le bar du Ritz de Paris en 1944, moi j’ai « libéré » celui de l’Hôtel Argentina de Dubrovnik en 1992. Mais ça, personne ne le sait!

P.-S. 3: une première version de ce texte a été publiée en 2004 ou 2005 dans une revue alémanique dont j’ai perdu la trace.